« Carbon Dairy nous a permis de recaler notre système »
Au Gaec du Crocomby, l’agrandissement de l’exploitation a réclamédes adaptations. L’entrée dans la démarche Carbon Dairy a été l’occasion de revoir les équilibres du système maïs-herbe.
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L’installation de Rémi Laffay en 2012, rendue possible par la reprise d’une ferme allaitante de 52 ha, a porté la surface de l’exploitation familiale de 84 ha à 136 ha dont 35 % de terres labourables. De 420 000 litres, la référence laitière est passée à 810 000 litres (10 % en B). « Alors que nous étions partis sur l’idée d’un troupeau mixte lait-viande à cause de l’éloignement des parcelles récupérées (3 km du bâtiment des laitières), nous avons finalement opté pour la spécialisation laitière, explique Rémi. N’ayant pu reprendre l’intégralité de l’exploitation charolaise, nous n’avons pas récupéré les 60 primes pour vaches allaitantes. Par contre, grâce au syndicalisme du Rhône JA et FDSEA, nous avons bénéficié de droits à produire du lait supplémentaire (160 000 litres, soit le double de l’attribution JA). Complétés par l’achat de quotas, ils ont dopé notre référence laitière. Nous avons acheté 39 génisses et 6 vaches. »
« Cultiver plus de prairies multi-espèces et de céréales, mais moins de maïs »
Trois ans plus tard, la réalisation d’un diagnostic proposé par Véronique Bouchard, conseillère de la chambre d’agriculture du Rhône dans le cadre de la démarche Carbon Dairy, a été l’occasion pour le Gaec de s’interroger sur la cohérence du système en place et sur ses évolutions. À l’époque, 107 montbéliardes produisaient 716 616 litres avec une ration de deux tiers maïs-un tiers herbe et un peu de pâturage au printemps. Malgré ses rendements limités (10 t/ha de MS en moyenne), le maïs était cultivé sur 27 ha dans le cadre d’une rotation courte de dix-huit mois (maïs-céréales-RGI ou maïs-RGI). 3,5 ha de maïs irrigués étaient achetés à 30 km de l’exploitation. Débuté en octobre 2015, le diagnostic a débouché, un an plus tard, sur la réalisation d’un plan carbone. Entre-temps, toute l’exploitation avait été évaluée à l’aide de l’outil Cap2ER et deux scénarios ont été étudiés. Le premier prévoyait une augmentation du nombre de vaches (jusqu’à 120) et de la moyenne laitière avec l’achat de fourrages. Il n’a pas été retenu.
Le second était axé sur le renforcement de l’autonomie alimentaire de 72 à 83 %, une baisse des concentrés et une meilleure maîtrise technique de l’élevage (réduction de la mortalité des veaux, abaissement de l’âge au premier vêlage de 30 mois à 27, limitation du taux de renouvellement des laitières à 30 %). Il est actuellement mis en œuvre. De 7 000 litres/VL/an avec 330 g de concentrés par litre, la production laitière doit passer à 7 500 litres avec 230 g de concentrés par vache. Une amélioration globale de l’EBE est attendue (voir infographie).
Ce plan sur quatre ans consiste d’abord à optimiser les conduites agronomiques en faisant moins de maïs-ensilage (14 ha en 2018 seulement), en cultivant plus de céréales (de 2 ha à 8,5 ha) et en implantant des prairies multi-espèces riches en trèfles, d’au moins trois ans, sur 27,5 ha. Des rotations plus longues doivent se substituer aux rotations intensives qui favorisent l’érosion sur les sables acides en pente. « Là où le potentiel agronomique le permet,des prairies multi-espèces de trois ans succéderont à un an de céréales et deux ans de maïs. Sur les sols moins fertiles, on se contentera d’implanter une céréale et des multi-espèces de quatre ans », précise Véronique Bouchard.
« C’est notre première année d’exploitation des mélanges suisses »
L’azote organique produite par les prairies riches en légumineuses permettra de réduire les achats d’engrais azotés. « Les prairies multi-espèces de trois ans restituent 150 à 200 unités d’azote/ha au maïs cultivé derrière, contre 50 unités dans les rotations courtes. » La fertilisation potassique des prairies sera réajustée et un chaulage sera réalisé (30 t/ha pendant deux ans sur les multi-espèces, 10 t/ha sur les prairies permanentes).
Pour densifier la ration en énergie, sécuriser la reproduction et la reprise de poids en début de lactation, du maïs-épi sera acheté (42 t en 2018). Localement, il est accessible à 200 €/t de MS. Le pâturage, un peu délaissé avec l’augmentation du troupeau, est à nouveau valorisé. Du 1er avril à fin juin, il s’agit de tirer pleinement partie de l’herbe par la mise en place d’un pâturage tournant fonctionnel sur la base de 20 ares par vache (25 ares en été). La distribution à l’auge de 5 kg de maïs et d’un peu de foin complétera les 9 kg de MS d’herbe ingérée par vache et par jour.
La production de viande est conservée. Elle valorise les refus des laitières et les surfaces herbagères peu productives en pente (un quart de la SAU). Vendues à 30 mois à 350 kg de carcasse, les génisses croisées (une quinzaine par an) sont finies avec un peu de concentrés. Un an et demi après le début de la réflexion Carbon Dairy, la valorisation du pâturage et le travail sur les prairies multiespèces sont engagés.
Cinq hectares de prairies en mélange suisse de trois ans ont été implantées à l’automne 2016 et ensilées ce printemps. « Des analyses vont être effectuées pour estimer la qualité et le coût », précise Rémi. Le prix des semences est en effet plus élevé mais la quantité a été satisfaisante. Sur une parcelle de 2 ha, un essai de prairies a été lancé avec, pour une moitié, des ray-grass hybrides et des trèfles violets, et pour l’autre, un mélange suisse. Le maïs a été réduit mais dans des proportions moindres que prévues dans le plan. 21 ha ont été semés le 5 mai.
« Nous irons peut-être plus loin en réduisant à14 ha le maïs »
« Nous envisageons d’implanter chaque année un hectare de moins pour atteindre 18 ha, en arrêtant les achats de maïs irrigués. Quand nous maîtriserons les mélanges suisses, peut-être irons-nous plus loin, en réduisant le maïs à 14 ha. Dans ces années au climat difficile, avoir des stocks est rassurant : après la sécheresse de 2015, ce printemps 2017 a été froid et sec. La pluie n’est arrivée que fin avril, et début mai, il gelait encore. L’ensilage d’herbe réalisé fin avril est bon. Cependant, il manque 20 % de volume. La première pâture mi-mars a été satisfaisante mais il n’y a pas eu de repousses sur la seconde. L’herbe a commencé à repartir autour du 9 mai après les pluies. Nos stocks ont permis de compenser àl’auge. »
« Un impact économique et environnemental positif »
La ration des laitières a évolué. « D’une alimentation complète équilibrée à 27-29 l avec deux tiers d’ensilage de maïs et un tiers d’ensilage d’herbe, nous sommes passés à une ration complète équilibrée à 23-25 l avec 50 % de maïs et 50 % d’ensilage d’herbe. La baisse du concentré est une priorité. De 330 g/l en 2014, nous sommes descendus à 270 g/l en 2016. Grâce au Dac, nous distribuons le concentré aux vaches qui en ont vraiment besoin. » Au Gaec Crocomby, la démarche Carbon Dairy a été une entrée intéressante pour repenser le système de production. « Elle fait réfléchir à des choses auxquelles nous n’avions pas forcément pensé, observent les associés. Même si la prévision du compte de résultats 2018 peut paraître optimiste, on a tout à gagner à modifier certaines de nos pratiques. » Leplan Carbon Dairy peut faire peur au premier abord compte tenu de sa consonance écologique. En fait, il va de pair avec l’efficience économique de l’exploitation : entre 2014 et 2018, les émissions de gaz à effet de serre doivent diminuer de 13 %, soit 0,80 kg éq. CO2/litre de lait.
Anne Bréhier
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